Nous disposons d'un instrument intérieur - le coeur- et d'un organe extérieur - les oreilles- faits pour l'écoute. Etonnamment, l'art de l'écoute n'est pas si courant que cela. Au départ, j'étais moi-même très peu outillée. Peu à peu, j'affine cette capacité à être présente à l'autre et je développe l'empathie, dont je découvre peu à peu les subtilités, la profondeur et les vertus. Je sens notamment combien mon corps peut m'être utile dans cette connexion à l'autre - il y aurait beaucoup à écrire là-dessus. Parlons un peu de l'écoute empathique.
Jean-Philippe Faure a écrit un livre avec Céline Girardet "L'empathie, le pouvoir de l'accueil". J'ai pu faire l'expérience de cette qualité d'écoute et d'accueil total en sa présence, ainsi qu'auprès d'autres personnes, thérapeutes ou amis, dotés d'une grande ouverture, d'une connexion profonde et d'une absence de jugement. Cette empathie est un véritable moteur de transformation intérieur, un puissant levier de changement, pour peu qu'il soit assorti d'une totale acceptation de l'autre - on parle de considération positive dans le langage rogérien. En présence de telles personne, j'ai le sentiment d'être complètement comprise, rejointe, acceptée telle que je suis, que cela me laisse le goût d'offrir ce sentiment de plénitude à d'autres.
Une autre image m'a aidée dans mon cheminement d'écoutante. Une formatrice CNV, Michèle Guez, avait comparé la posture d'empathie à celle de notre animal de compagnie - prenez un chien- assis silencieusement, à vos côtés. J'ai pu vivre une telle situation, un jour, où effondrée de chagrin au fond de mon jardin, j'ai vu s'assoir à mes côtés la grosse masse noire et poilue de notre chien, ses yeux profonds rivés sur moi, attendant patiemment et avec douceur, que l'émotion finisse son cycle. Sa présence rassurante et chaleureuse avait suffi à extraire mon chagrin, et mettre de la clarté dans mon ciel nuageux. Cette image me revient parfois quand j'ai l'envie contagieuse - et fréquente - d'intervenir dans le récit de l'autre. Juste écouter silencieusement, sans commentaire. Il n'y a rien d'autre à faire.
Le plus difficile est de ne rien faire. Juste être présent, intensément présent. Retirer nos habits de certitudes, nos représentations toutes faites, nos attentes sur l'autre, notre envie de le sauver ou de lui apporter une solution. Arrêter de juger selon notre grille de référence, d'analyser la situation. Chaque situation est neuve et unique, chaque cheminement est singulier. Eugene Gendlin, l'auteur du Focusing, écrivait : "Deux raisons seulement vous donnent le droit de parler lorsque vous écoutez : montrer à l’autre que vous le comprenez en reformulant ses paroles ou lui demander qu’elle répète ou s’explique » .
Enlever le trop, je chemine vers cela. Il m'est finalement plus difficile de retirer les habits de l'ego, d'avancer le coeur nu et vulnérable, que de rester dans mon bruit et ma confusion intérieure. Il est pourtant nécessaire de faire le ménage avant de m'assoir aux côtés de l'autre, urgent de "dégager mon espace intérieur" (première étape du Focusing, soit dit en passant). Ouvrir mon espace d'accueil. Je sens alors mon impuissance, mon extrême impuissance face à des situations inextricables, une impuissance à résoudre semblable à un vertige. Que ce soit pour moi, que ce soit en écoutant l'autre, cet état me pousse vers une autre extrémité salutaire : sauter de plein pieds dans la confiance, lâcher prise. Juste être là.
"C'est souvent l'impuissance que nous ressentons face à la souffrance de l'autre, qui nous fait craquer et tomber dans le piège de vouloir faire quelque chose. Notre réaction reflète notre difficulté à accueillir la souffrance. Plus généralement, elle peut être vue comme le miroir de notre confiance en nous et en l'autre. Pour avoir foi en les ressources de l'autre, nous devons avoir foi en les nôtres. C'est cette confiance qui nous aide à accepter notre impuissance foncière face à la douleur de quelqu'un. Nous pouvons alors rester en connexion avec lui, en ayant l'assurance que c'est la meilleure manière pour lui d'arriver à une solution qui lui appartienne." (Jean-Philippe Faure)
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